Chapitre 9. Le bouge.

Cela faisait plusieurs jours que Garm et sa troupe avaient quitté Aquilata, il avait reçu le papillon coloré de Res Ger, le plan se déroulait comme prévu et c’était une bonne chose.
À une dizaine de lieux de là, il avait dû faire une halte inattendue.
Il s'était éloigné de son escorte, son cheval ayant perdu un fer, et plutôt que d'échanger sa monture, il l'avait conduite à l'entrée d'un hameau, chez l'unique maréchal-ferrant.
Ce fut donc à pieds qu'il remonta le chemin de grosses planches goudronnées qu'on avait jetées sur l'unique rue boueuse parallèle au fleuve. De chaque coté sur des pilotis de quatre pieds de haut étaient plantées une vingtaine de masures, l'auberge un bâtiment de colombages et de pisé, avec son étage unique fait de troncs mal équarris, était mieux construite que les autres maisons du hameau, plus neuve, plus vaste, c'était le centre d'une attraction fébrile.
Des interstices des claies d'osier et de roseaux qui bouchaient les fenêtres, des planches disjointes de la porte à deux battants grossièrement peintes, filtraient des sons braillards, de la musique, et des lueurs dansantes.
Les curieux était nombreux pour pareil hameau, l'ambiance était chaude.
Et tous allongeaient avidement leur cou, tendaient l'oreille, se pressaient les uns contre les autres, jouaient des coudes, afin de ne rien perdre du spectacle.
C'était surtout des hommes, des pécheurs, des mariniers, et des bûcherons.
Ce qui excitait à ce point leur curiosité était une femme. Non c'était une enfant, une malheureuse petite esclave de douze ou quatorze ans, vêtue de chiffons, à son cou brillait un collier de bronze, les jambes nues, elle montrait pour l'instant, l'ombre légère de sa poitrine juvénile, son front était caché derrière une couronne d'aubépine et de jasmin mêlé, elle avait des yeux d'un vert émeraude, déjà mutins.
Dans son dos, sur sa poitrine, et tombant de sa taille, elle exhibait de bizarres ornements, de petites clochettes à montures de bronze.
Juchée sur une petite estrade, devant trois musiciens en tailleurs, et un grand gaillard bedonnant, un Gerc ou plutôt un Dominien qui n'était certainement pas son père, mais plus sûrement son leno, elle chantait, elle dansait, dévoilait ses charmes, allant et venant, à l'aise sur les planches comme une déjà vieille brème, arrondissant les bras malgré les chaînes qu'elle avait aux poignets, elle balançait des hanches de façon de plus en plus rapide sur un rythme qui devenait si furieux, que les musiciens avaient du mal à suivre, puis soudainement, elle se figeait, prenait des poses provocantes, avec des attitudes obscènes, mimait le coït, se léchait le bout des seins, déclenchant de gros rires gras, elle chantait avec un étrange accent, des chansons grivoises en Dominien, et même en Norique.
C'était une esclave, juste une petite putain, un petit animal bien dressé.
L'auberge était bondée, pleine d'hommes l'eau à la bouche, aux yeux avides, hypnotisés par la vue de la danseuse déjà ruisselante de sueur.
Et Garm murmura en posant son gobelet de mauvais vin : « Pauvre fille ! Dommage pour toi, je n'ai pas le temps. Pourtant c'est bien Vénus, une petite Vénus pas encore gâtée par la débauche que je vois là. Je t'aurai bien acheté et offerte à la mère de Res Ser. » Il se leva prit dans son écuelle le pilon d'une oie rôtie qu'il entendait finir en quittant les lieux, il bouscula un peu les spectateurs qui lui barraient la sortie, il avait hâte de quitter ce bouge, son cheval devait l'attendre ferrer chez le forgeron.
Mais un fâcheux prit la mouche, un colosse qui lui rendit en plus fort sa poussée, Garm bon prince s'excusa et continua son chemin, le dépassa, l'autre visiblement ivre lui tapa sur l'épaule, Garm sentant venir les problèmes se retourna, et sans attendre décocha deux coups de poing un dans le ventre suivi d'un autre sur le nez, le sang gicla et l'homme s'affala de tout son poids sur une table qui craqua sous le choc.
Autour de lui on avait fait le vide.
Il aurait pu en rester là, mais il jugea plus prudent de vider sa bourse sur le ventre du colosse estourbi, il devait y en avoir pour 300 has.
- Vous avez eu le spectacle … J’offre ma tournée, vous en garderez pour ce gaillard ... quand il reviendra à lui.
Il ne put quitter aussi vite la taverne qu'il l'aurait voulu, la danseuse fut poussée hors l'estrade, les barriques furent percées, les amphores, débouchées.
Il dut boire deux ou trois tournées pour accompagner ses nouveaux amis, à la santé de l'empereur, et comble de l'ironie à celle de Garm l'invisible le maître des hors la loi, c’est vrai que d’une certaine façon il était une légende, un ogre dont on menaçait les enfants turbulents.
Il est vrai que dans son accoutrement, il ressemblait plus à un mercenaire barbare, qu'à un prince des assassins.
Ce fut sous les hourras qu'il les quitta enfin, il dut même leur promettre de repasser un de ces quatre.
Il sauta les quelques marches du perron, fouillant dans sa besace à la recherche de la cuisse d'oie rôtie.
Il commença à la mordre quand il entendit pleurnicher, cela venait de dessous l'auberge plus exactement des pilotis extérieurs, Malgré la noirceur, il reconnut la petite esclave demie nue enchaînée par le cou à un des madriers, la nuit était fraîche, elle grelottait.
- Je parie que t’as froid et que tu dois être affamée ?
Le petit animal doué de raison acquiesça de la tête.
Lui, un des personnages le plus puissant de l'empire, eut pitié, il se souvint de l'histoire d'un saint Messien, qui partagea son manteau, à les entendre cela tenait lieu du prodige, alors avec un sourire ironique il lui jeta son manteau de laine à capuchon et ce qu'il restait de sa volaille, il n'entendit pas les remerciements, déjà il s'était éloigné à grands pas.
Il put reprendre son cheval, il avait encore du chemin avant de rejoindre son escorte.
Le maréchal ferrant malgré l'heure tardive avait fait du bon travail, sans doute lui était il difficile de refuser son art à un cavalier lui agitant sous le nez une pièce d'or.
Sa troupe l'attendait non loin de là, et alors qu'ils galopaient sur la voie Servienne qui longeait le chantier du nouveau canal, une pensée suscita sa réflexion, il avait le sentiment d'être passé à côté de quelque chose, là-bas dans la taverne, quelque chose de fugace s'était imprimé dans son esprit, la petite avait attiré son attention, mais pour quelle raison ? D'accord elle était jolie mais cela était insuffisant, elle avait la tête rasée, mais ce n'était pas suffisant pour qu'il s'en émeuve autant, peut être son regard ? Ou peut-être une ressemblance mais avec qui ?
(j'en ai 900 pages de la même veine, mais comme je dis, ce n'est qu'un stupide passa temps)